Sale temps pour les pirates ?

. lecture : 5 minutes

Le site du nouvel observateur vient de publier un article de laurent Joffrin, son directeur, intitulé "Internet : sale temps pour les pirates". Me voilà obligé de parler, encore, de la HADOPI et du "piratage" ici. Vous trouverez l'article ici : tempsreel.nouvelobs.com, si le cœur vous en dit (déjà 18 commentaires, la plupart contre les "arguments" avancés par l'auteur, c'est bien smiley super).

C'est parti :

"Trois événements - trois avertissements - viennent contredire enfin les idées reçues teintées d’ultra-libéralisme qui prévalaient jusqu’à présent sur la toile à propos du téléchargement illégal."

Ça pue l'argument "épouvantail" ça… "Voilà ce que mon adversaire pense et c'est faux". On appréciera au passage la mention "d'ultra" (?) libéralisme; faut pas oublier qu'on est en période d'élections.

"[les] internautes, privés de Megaupload, (…) ont pour une bonne part rejoint les sites légaux de téléchargement payant ou bien ils se sont tournés vers les offres de VOD également payantes."

Affirmations sorties tout droit du c… chapeau de leur auteur.

"Il est possible, en usant de la salutaire peur du gendarme, de réguler le fonctionnement d’Internet quand il menace telle ou telle législation démocratiquement votée."

Autrement dit, "Il est donc possible, en surveillant davantage Internet, de limiter la contrefaçon, même si c'est au prix de certaines libertés ou si ça donne les outils aux gouvernements de surveiller davantage leurs citoyens". Et c'est mignon ça, "législation démocratiquement votée"; on imagine bien le méchant pirate anarchiste qui veut détruire la société des gens bien. On laisse au lecteur le soin de juger ce qui lui parait "démocratiquement voté", quand on entend par exemple que les majors américains de la musique et du cinéma faisaient pression sur l'Espagne pour que ses élus fassent passer une nouvelle loi anti "piratage".

"Les internautes, au demeurant, ne sont pas des irresponsables. Ils comprennent facilement que la consommation gratuite, massive et illégale de culture finit par nuire gravement aux créateurs."

Sources de cette affirmation ? Zéro. Je me demande si quelqu'un, quelque part, à un jour essayé de prouver cet argument, ou s'il est juste répété en boucle par certains intéressés.

"Ils sont d’accord pour participer à leur rémunération, à condition bien sûr que l’offre légale soit suffisamment riche et attractive. Sur ce premier front les pirates ont donc échoué."

Dans la vision du monde de monsieur laurent Joffrin, on a donc "les internautes", un peu moutons, à qui on peut faire peur, et "les pirates", sans doute le nom qu'on donne aujourd'hui à ceux qui veulent faire changer la loi sur le droit d'auteur. Et pourtant "les internautes" et "les pirates" sont les mêmes personnes. Ce sont également les mêmes qui achètent de la musique en ligne, parfois découverte par le piratage.

"Le deuxième front est constitué par la législation ACTA en discussion à l’échelle européenne. Cette proposition de répression de la contrefaçon – et donc du téléchargement illégal – suscite de nombreuses critiques, souvent justifiées. Elle a été élaborée dans des conditions d’opacité suspectes ; elle pourrait contrevenir à certains principes de protection de la vie privée et de respect des libertés publiques. Le débat est en cours."

Un point pour M. Joffrin, il indique qu'ACTA est très critiquée. "le débat est en cours"; ne parlons pas davantage de ce qu'on nous pond comme loi pour lutter contre un problème inexistant.

"les Etats-Unis élaborent une législation protectrice, elle aussi controversée, mais qui traduit de toute évidence un souci plus marqué de préservation du copyright."

Là aussi, on survole très vite les projets de loi SOPA et PIPA, écrites par les industriels du cinéma et décriées par à peu près tous les interessés, internautes comme professionels.

"le partage de la culture est un immense progrès, à condition qu’il ne vienne pas menacer cet acquis deux fois séculaire selon lequel les artistes doivent vivre, non de la générosité de l’Etat ou des libéralités de tel ou tel mécène, mais tout simplement de leur travail."

Oui, l'accès gratuit et illimité à tous les produits culturels jamais réalisé est un immense progrès, qui permet à de très nombreux jeunes de découvrir différents artistes et œuvres, qu'ils n'auraient jamais eu les moyens d'acheter par l'offre légale.

"Dernier signal de cette prise de conscience : le débat présidentiel. Alors que Nicolas Sarkozy en tient mordicus pour la loi Hadopi, conformément à la demande des producteurs de musique et de films, François Hollande a déclaré qu’il annulerait ce dispositif. […] Autrement dit, Hadopi continuera si Sarkozy est réélu. Et si Hollande l’emporte, […] la sanction de la contrefaçon sera maintenue et le droit d’auteur protégé."

Il est mignon ce "conformément à la demande des producteurs", en parlant de Sarkozy ! Bien sur, monsieur Hollande ne s'abaisserait jamais à faire ce qu'une industrie lui demande de faire.

"En tout état de cause, donc, le Net sera légitimement régulé et les pirates pourchassés. Sur la Toile aussi, les militants du drapeau noir ont fait chou blanc."

"Légitiment régulé", ça me fait peur. Le genre d'Internet que nous propose la Chine, où il faut donner sa carte d'identité pour aller dans un cybercafé ou pour bloguer. Un tel prix à payer, et pourquoi ? Pour que certaines entreprises tentent de conserver leur place ? Mais qu'ils se sortent les doigts du cul ! Ce n'est pas à l'état de pondre une loi chaque fois qu'un major a un petit bobo imaginaire; s'ils veulent se tirer une balle dans le pied et poursuivre leurs clients, ça les regarde.

Commentaires

1.Commentaire de l'auteur, le 03 mars 2012 (21 h 55) :

Au passage, allez lire "Hollande et la Culture", sur authueil.org.

L'ajout de commentaires est désactivé.